Un an après un rapport très sévère du Défenseur des droits, police et gendarmerie cherchent une nouvelle doctrine d’utilisation de ces « lanceurs de balles de défense », le Flashball et son successeur. À quoi servent ces armes introduites en réponse aux « violences urbaines » ? La police et la gendarmerie ont accepté de répondre à nos questions.
Prudent, le ministère de l’intérieur ne parle plus d’armes non létales, mais de « moyens de force intermédiaires ». Lors de la présentation de son rapport annuel, le mois dernier, Marie-France Monéger, la patronne de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a, selon Libération, admis « qu’il y a un problème » avec « ces armes de force intermédiaire de type LBD et Flashball ». Trop imprécis et vieillissant, le Flashball, introduit dans certaines unités d’intervention en juillet 1995 par Claude Guéant, pourrait à terme être remplacé par des munitions de courte portée compatibles avec l’actuel LBD 40 (LBD pour lanceur de balles de défense).
Ces projectiles d’une portée de 15 à 20 mètres ont été testés « avec de bons retours » en 2013 dans divers services de sécurité publique. Un appel d’offres sera lancé dans les prochains mois. « Si ça permet de retirer tel équipement, tant mieux », estime Marc Baudet, chef du cabinet de l’analyse, de la déontologie et de la règle (Cadre) de l’IGPN. Mais dans un budget contraint, pas facile de trouver les crédits pour remplacer les quelque 3 200 Flashball en dotation dans la police et la gendarmerie.
Un policier utilise un LBD 40 lors d’une manifestation à Lyon, en octobre 2010. © Reuters
Un an après un rapport très sévère du Défenseur des droits, police et gendarmerie finalisent de nouvelles instructions pour les lanceurs de balles de défense, ainsi que pour les pistolets à impulsion électrique et les grenades de désencerclement. Il s’agit de durcir leurs règles d’emploi, en réponse aux recommandations du Défenseur. « Le médecin sera par exemple systématiquement requis après chaque utilisation », indique le colonel de gendarmerie Jean-Claude Gin, chef du bureau de la sécurité publique.
À leur introduction, les lanceurs de balles de défense ont été présentés comme des armes antibavure, évitant le recours à l’arme à feu de service. Est-ce réellement le cas ? Les chiffres publiés l’an dernier par le Défenseur des droits permettent d’en douter : en 2012, les policiers ont tiré 2 573 projectiles de LBD 40 mm et 44 mm. Soit environ sept tirs par jour. Il est fort probable que dans la plupart de ces situations, les fonctionnaires n’auraient même pas songé à utiliser leur pistolet.
- À quoi servent les lanceurs de balles de défense ?
Depuis novembre 2011, la Direction générale de la police nationale suit en temps quasi réel chaque tir sur le territoire, grâce au fichier Tsua (traitement relatif au suivi de l’usage des armes). À chaque usage d’une arme, les policiers doivent renseigner une trentaine de rubriques allant du contexte du tir au nombre de munitions utilisées, en passant par les éventuelles blessures causées.
Selon Marc Baudet, chef du cabinet des études de l’IGPN, l’utilisation des lanceurs de balles de défense en maintien de l’ordre est marginale et limitée aux cas de violences graves visant les forces de l’ordre. Le LBD est surtout l’arme des « violences urbaines ». « Le principal cadre d’usage des lanceurs de balles de défense se situe lors de prises à partie de policiers à l’occasion de leurs interventions, explique Marc Baudet. De plus en plus souvent, ceux-ci doivent faire face à des rassemblements hostiles, voire des guets-apens, et le recours à ces lanceurs est l’unique moyen pour eux de s’extraire en toute sécurité des lieux de l’intervention. »
Il cite en exemple un reportage dans les Yvelines, une de ces flics stories dont la télévision est friande, montrant un équipage caillassé contraint de « s’arracher » en urgence. « Les années où il y a plus de violence urbaine, nous voyons les chiffres (de tirs de LBD –Ndlr) augmenter significativement », constate Marc Baudet, qui anime un groupe de réflexion sur les armes, réunissant toutes les directions d’emploi de la police et de la gendarmerie.
Les lanceurs sont également utilisés « dans le cadre d’une menace grave et imminente à l’intégrité physique d’un tiers ou d’un policier, comme alternative au pistolet à impulsion électrique et même de l’arme individuelle (forcenés armés, personnes violentes sous l’emprise de l’alcool, de stupéfiants, etc.) », indique le contrôleur général.
Un policier en civil tire au Flashball lors de la manifestation du 22 février 2014, à Nantes
De façon moins courante, les lanceurs de balles de défense peuvent aussi servir à sécuriser des contrôles routiers « lorsque des automobilistes refusant de s’arrêter et roulant délibérément vers les policiers, menacent gravement leur sécurité ou celle de tiers ». Avec peu de succès, selon Marc Baudet. Les instructions interdisent formellement de tirer sur le « conducteur d’un véhicule en mouvement, notamment pour le contraindre à l’arrêt (…) », du fait des risques évidents de perte de contrôle du véhicule…
Certains policiers intervenant dans des quartiers difficiles hésitent à utiliser les lanceurs de balles de défense, qu’il s’agisse du Flashball ou du LBD 40. « On préfère utiliser les grenades de désencerclement (DMP) ou les grenades lacrymogènes pour couvrir notre fuite avec un écran de fumée, explique un policier de brigade anticriminalité. C’est beaucoup plus efficace et moins dangereux que de pointer quelqu’un et de lui tirer dessus. » « On ne maîtrise pas les dégâts qu’on va faire avec un tir », poursuit ce policier, en citant les nombreux « blessés au visage » ainsi que le cas, à Marseille, en 2010, d’un homme tué par un tir de Flashball.
La masse de papiers à remplir après chaque utilisation n’est pas non plus anodine. « Il faut rédiger un rapport, un rapport de témoignage par les collègues, une fiche d’utilisation qui reste dans le dossier, décrit le fonctionnaire. Si sur dix ans de BAC, un agent a utilisé dix fois le Flashball ou le LBD et qu’il lui arrive un souci, on va le lui ressortir et lui reprocher d’être un utilisateur régulier. Et sur un lancer de pierres à 40 mètres, c’est parfois compliqué de justifier une légitime défense… »
« Pour disperser des groupes hostiles, le Flashball est parfait, estime un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur. Mais il faut prendre garde aux graines qu’on sème et qui peuvent attiser la haine du flic à long terme… »
Selon l’IGPN, c’est à l’occasion des violences urbaines que les lanceurs provoquent le plus de blessés. « Il peut y avoir des tirs de défense et c’est là qu’on a le plus de dégâts, indique Marc Baudet. Les affaires (de blessés) en maintien de l’ordre sont minoritaires ; l’essentiel, c’est lors des violences urbaines. » Sur les 27 blessés graves que Mediapart a recensés depuis 2006, près de la moitié ont été touchés lors d’opérations de police dans des quartiers populaires. Mis à part deux cas, à Mayotte et à La Réunion, la liste de ces blessés égrène celle des banlieues de la petite et grande couronne parisienne : Clichy-sous-Bois, Mureaux, Neuilly-sur-Marne, Villiers-le-Bel, Bondy, Villetaneuse, Audincourt, Tarterêts, Trappes…
- Le maintien de l’ordre à la française a-t-il changé de doctrine ?
Les CRS et les gendarmes mobiles sont dotés de LBD 40 depuis 2008. Ils n’ont jamais été équipés de son prédécesseur, le Flashball, à l’époque jugé trop imprécis. « On a testé ce matériel, indiquait, en 1997, Christian Arnould, alors chef du bureau des équipements du service central des CRS, dans les Cahiers de la sécurité. Techniquement, il ne convient pas parce qu’il n’est pas précis. Il ne permet pas de neutraliser quelqu’un qui se trouve à quinze mètres. Symboliquement, en matière de maintien de l’ordre, cela signifie que l’on tire sur quelqu’un, alors que, depuis des années, on prend soin de tirer les grenades à 45 degrés sans viser les personnes en face. Le Flashball implique une visée et un tir. »
L’emploi des lanceurs de balles de défense semble en effet à contre-courant d’une conception du maintien de l’ordre fondée, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur la mise à distance des protagonistes du conflit. « Alors que toute la doctrine de maintien de l’ordre s’est construite sur la recherche d’outils qui agressent les sens et mettent les protestataires à distance, comme le gaz, voilà qu’on emploie un outil qui, lui, frappe les corps », remarquait le chercheur Fabien Jobard dans Mediapart.
Cette fois encore, ce sont les « violences urbaines » qui ont justifié la dotation des forces mobiles en lanceurs de balles de défense. « Les CRS ont des LBD car ils sont amenés à intervenir sur des violences urbaines, pas pour des manifestations », assure un spécialiste du maintien de l’ordre. Petit rappel historique : « En 1986, les CRS et les gendarmes avaient des protections individuelles très défaillantes, raconte ce haut fonctionnaire. À l’époque des manifs contre la loi Devaquet, plusieurs ont été sérieusement blessés, avec des rotules, des clavicules cassées. En face, c’étaient des frondes, des jets de pierre, des boulons. »
Et de poursuivre : « Il y a eu une prise de conscience qui a amené de meilleurs équipements individuels et créé les “Robocops” actuels, qui peuvent prendre des projectiles dans les articulations. Ça a induit une conception de la gestion publique très défensive. On pouvait tenir, car on était bien protégés. »
Nicolas Sarkozy avec un Flashball au commissariat d’Orléans, le 3 février 2011. © Philippe Wojelaz/Reuters
Selon ce haut fonctionnaire, les émeutes dans les banlieues françaises, d’octobre à novembre 2005, marquent le véritable tournant et sonnent la fin d’un maintien de l’ordre uniquement défensif. « La posture défensive a suscité des images catastrophiques : des CRS en barrage, à quelques centaines de mètres à peine de voyous qui cassaient une vitrine sans que les CRS ne bougent, poursuit notre spécialiste. Nicolas Sarkozy a voulu des interpellations. » La doctrine et les tactiques changent : il ne s’agit plus de disperser la foule et de faire du maintien de l’ordre en ligne, mais d’interpeller des émeutiers en quadrillant un territoire.
Deux ans plus tard, les événements de Villiers-le-Bel ouvrent la voie au LBD 40. Le 25 novembre 2007, lors d’émeutes suite à la mort de deux adolescents dans une collision avec une voiture de police, une centaine de fonctionnaires sont blessés par des projectiles, dont des coups de fusil à pompe tirés par des jeunes du quartier. Aucun policier ne riposte en utilisant son pistolet. « Pour avoir vécu des situations où nous avons manqué de moyens intermédiaires, nous avons apprécié l’arrivée du LBD 40, explique un syndicaliste CRS. À Villiers-le-Bel, nous étions pris d’assaut par des gens avec des cocktails Molotov. Une fois que vous avez balancé des grenades lacrymogènes et qu’elles n’ont pas eu d’effet, car ils ont tous des masques et des foulards, que reste-t-il ? Ou vous êtes vraiment au contact et c’est le tonfa, ou ils sont loin et vous êtes obligé de lancer des grenades en tir tendu avec le fusil Cougar. »
« En CRS, la sortie d’arme, c’est extraordinaire, explique le syndicaliste CRS. En maintien de l’ordre, on mettait même notre veste au-dessus de l’arme, qui n’était donc pas accessible. » À l’époque, plusieurs officiers et responsables d’armureries réclament alors d’équiper les CRS de fusils à pompe avec des gomme-cogne, ces balles en caoutchouc dur de calibre 12 mm utilisées en Israël, aux États-Unis ou encore en Afrique du Sud. Trop dangereux, juge la direction générale de la police nationale.
« Suite à Villiers-le-Bel, nous avons déployé des boucliers et des casques balistiques censés résister à du petit plomb, ce qui peut être dévastateur dans le visage, dit Marc Baudet. Et nous avons fait le choix d’utiliser le LBD 40 doté d’un viseur électronique d’une grande précision. Il permet de neutraliser sans avoir recours à une arme à feu. Ça sèche bien l’agresseur. » Depuis, les manifestants se sont adaptés. « Les gens s’équipent avec des doudounes, voire des gilets pare-balles, mettent des épaisseurs de papier dans le pull », rapporte le contrôleur général.
- À quel moment les forces de l’ordre peuvent-elles tirer ?
Pour disperser un attroupement lors d’un maintien de l’ordre « normal », les forces de l’ordre disposent d’une gradation de moyens listés par deux décrets de juin 2011 (le premier et le second). Après deux sommations et autorisation de l’autorité civile, les agents peuvent employer la force physique, les bâtons de défense, des engins lanceurs d’eau, des grenades lacrymogènes lancées à la main, etc. Après renouvellement de la deuxième sommation, les fonctionnaires peuvent tirer des grenades au fusil Cougar et utiliser des grenades plus puissantes de type désencerclement ou assourdissantes.
CRS armé d’un LBD 40 lors d’une manifestation à Marseille en juin 2013. © LF
Les lanceurs de balles de défense ne font pas partie de cette liste. Leur emploi n’est possible que lorsque des violences graves sont commises contre les forces de l’ordre à l’occasion d’un maintien de l’ordre. Aucune sommation n’est alors nécessaire. La loi prévoit que « les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent ».
« Le recours au LBD est un événement exceptionnel pour protéger les policiers contre des agressions et qui ne s’inscrit pas dans le fonctionnement classique d’un maintien de l’ordre, assure Marc Baudet. Cela ne correspond pas à la philosophie des CRS. En maintien de l’ordre, vous n’avez pas des hommes mais des unités, comme les légions romaines. L’initiative individuelle n’existe pas, c’est le commandant qui décide. Vous n’avez pas l’analyse et la compréhension de la situation, donc vous devez obéir au coup de sifflet. »
Le fait est toutefois que les forces de l’ordre n’hésitent plus à tirer sur des manifestants, comme le 27 décembre 2013 à Grenoble où un jeune sapeur-pompier, atteint par un tir de LBD 40, a perdu un œil. Le procureur de Grenoble a classé l’enquête au motif que la grave blessure du pompier ne résulte « pas d’une infraction, mais de sa participation à cette manifestation violente et l’emploi de la force légitime proportionnée et nécessaire pour y faire face ». Est-il devenu légitime d’utiliser le LBD pour répondre à une manifestation de sapeurs-pompiers armés d’une seule lance à incendie à bas débit ? Ou à des jets de « pavés catapultés, de billes d’acier, de boulons et de cocktails Molotov » comme à Nantes ?
La réponse de l’institution ne varie pas. « Ceux qui prennent le risque de s’en prendre aux forces de l’ordre s’exposent eux aussi à des dommages corporels », nous avait répondu Jean-Christophe Bertrand, le directeur départemental de la sécurité publique de Loire-Atlantique. « On a affaire à des gens extrêmement violents qui viennent uniquement pour blesser et tuer des policiers, des prédateurs qui se retranchent dans la foule, confirme Marc Baudet. Nous sommes dans une société de plus en plus violente, en particulier au regard des dépositaires de l’autorité publique. »
Certes, le nombre de policiers blessés en mission anti-délinquance ou de maintien de l’ordre a augmenté de 34 % depuis 2008, passant de 4 197 à 5 630 en 2012. Mais le nombre de tentatives d’homicides et d’homicides de policiers nationaux est, lui, assez stable : il fluctue autour de 70 par an depuis 2006. Depuis 2008, deux à six policiers sont tués chaque année en mission.
La police des polices surveille ces affaires comme le lait sur le feu. « Pour chaque affaire, j’ouvre un dossier », indique Marc Baudet qui estime à une « vingtaine » le nombre de blessés graves par LBD en France. « Pourquoi toujours au visage ? Parce que quand ça touche ailleurs, ça provoque un bleu sans conséquences, explique-t-il. Qui peut concevoir que l’institution puisse se réjouir qu’un gamin perde un œil lors d’une manifestation ? L’institution n’accepte pas les blessés lors des manifestations. Mais nous avons 5 millions d’interventions par an, on est sur un taux d’accidents proche de l’industrie de très haut niveau, de haute technologie. »
Bien que doté d’un viseur électronique avec un cercle rouge entourant la cible, le LBD 40 fait presque autant de dégâts que son prédécesseur le Flashball. Car, quelle que soit la précision d’une arme à feu, « dans la rue, on n’est pas face à des silhouettes en papier. Il y a du stress, de la peur, des nuages de fumée et des cibles en mouvement », rappelle un formateur policier, interrogé par Mediapart en 2009.
C’est du côté des hauts fonctionnaires qui ont connu l’ère Joxe, ministre de l’intérieur de François Mitterrand, que s’élèvent le plus de protestations face aux mutilations causées par ces lanceurs. Vice-président de l’association Action sécurité éthique républicaines (ASER), Georges Guillermou, commissaire honoraire, a récemment lancé sur Mediapart un appel demandant la suspension du Flashball. « La police a très bien fonctionné sans ces armes, remarque celui qui dirigea jusqu’en 2001 le bureau de la formation initiale de la police nationale. Nous n’avions pas plus de morts ni de blessés graves dans les manifestations. Aujourd’hui, il y a des blessés graves. C’est une régression… »
Le préfet Patrice Bergougnoux, qui a travaillé aux côtés de la plupart des ministres de l’intérieur socialistes, est, lui, entré dans la police en 1973 comme officier CRS. « Il y a deux grands principes : ne pas utiliser la force au-delà de ce qui est nécessaire, ne jamais utiliser son arme en dehors de la légitime défense, rappelle-t-il. C’est l’honneur et la fierté de la police française d’exécuter les missions de maintien de l’ordre avec mesure et sans usage de la force extrême. » Chargé d’une mission sur la police du futur par l’ex-ministre de l’intérieur Manuel Valls, l’ancien directeur général de la police nationale se dit « défavorable à la diffusion d’armes de ce type dans la police nationale ». « Moins il y a d’armes, mieux c’est : les lanceurs de balles de défense doivent être réservés à des unités spéciales », estime Patrice Bergougnoux.
Mais les compagnies républicaines de sécurité ont changé de visage. « En 1986, une brigade CRS, c’était 90 bonhommes, aujourd’hui, seulement 50 à 60, ça change la donne, remarque un haut fonctionnaire. La baisse des effectifs va entraîner de plus en plus de dérapages. Il y a une limite en dessous de laquelle il ne faut pas descendre. Le maintien de l’ordre, c’est énormément de psychologie : il faut montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir. Si on montre une certaine faiblesse… »
Marqués par l’épisode Goodyear, en mars 2013, certains syndicalistes réclament, eux, l’utilisation plus fréquente des camions lanceurs d’eau, dont sont dotées depuis 2011 les directions zonales de CRS. Ces engins permettent d’« éviter d’avoir des contacts physiques qui peuvent avoir des conséquences fâcheuses », assurait en 2011 Hubert Weigel, alors directeur des CRS. « Dans l’échelle des moyens de dispersion, ils sont situés avant les grenades lacrymogènes, indique un CRS. Ça éviterait de se retrouver en légitime défense et de devoir utiliser le LBD 40. » Mais les préfets redoutent de reproduire les images désastreuses de 1991 : des rangs d’infirmières brutalement repoussées par des canons à eau et des gaz lacrymogènes devant l’Élysée.
Les réticences portent aussi sur un manque de formation. Après leur habilitation LBD, les policiers doivent suivre un recyclage tous les deux ans. « En face, les services nous disent : « Nous n’avons plus les moyens en personnel et ça coûte cher en munitions (entre 10 et 28 euros, ndlr) » », indique Marc Baudet. « Comme il y avait eu beaucoup de problèmes avec le Flashball à Montreuil, l’administration a raccourci la durée des habilitations, mais les budgets n’ont pas suivi, se plaint un syndicaliste policier parisien. Donc on ne peut pas recycler tout le monde. »
- Pourquoi les gendarmes utilisent-ils si peu les lanceurs de balles de défense ?
Les gendarmes font, eux, un usage marginal des lanceurs de balles de défense : 90 munitions tirées au total en 2012. Les quelque 3 000 brigades territoriales de gendarmerie sont dotées d’un millier de Flashball. Seuls les gendarmes mobiles et quelques pelotons de surveillance et d’intervention (Psig) intervenant en milieu périurbain ont eux été équipés de LBD 40. Là encore, selon le colonel Jean-Claude Gin, chef du bureau de sécurité publique de la gendarmerie nationale, il s’agit principalement de « lutter contre les violences urbaines ».
« Le LBD 40 ne remet pas en cause la doctrine du maintien de l’ordre, mais il permet de gérer et de neutraliser de façon très ciblée des phénomènes de violence qui viennent s’ajouter à une manifestation », explique son adjoint, le lieutenant-colonel Louis Baras. Il cite l’exemple d’« agités » jetant des canettes sur un barrage interdisant l’accès à une préfecture. Ou encore de « casseurs » défonçant les vitrines de commerce. « C’est intéressant d’avoir le LBD car il permet de cibler le lanceur, de le neutraliser et de le sortir de la manifestation, estime Louis Baras. Ce qui évite de balancer du gaz lacrymogène sur l’ensemble des manifestants. »
Au quotidien, les gendarmes des brigades territoriales utilisent beaucoup plus le pistolet à impulsion électrique (619 fois en 2012) que le Flashball. « Le gendarme a vraiment intégré le Taser, le Flashball, c’est plus difficile », reconnaît le colonel Jean-Claude Gin. Contrairement à la police qui intervient sur des zones urbaines denses, les gendarmes travaillent en effet en petits groupes sur des territoires ruraux très étendus. « La gendarmerie se retrouve isolée face à un individu à maîtriser, pas comme la police dans un contexte urbain où il faut se dégager, compare le colonel Jean-Claude Gin. Mais on fait parfois face à des personnes très déterminées, tout peut arriver. » Le gros du volume des interventions porte, selon Louis Baras, sur les différends familiaux. « On envoie une patrouille de deux, décrit-il. Les gens sont alcoolisés, en hystérie, on arrive dans le rouge de la crise. Là, le Taser fonctionne très bien. »
Selon Jean-Claude Gin, ces armes permettent de gérer des situations dans lesquelles les gendarmes étaient « démunis » et n’auraient sans doute pas utilisé leur arme à feu. « Sortir son arme à feu pour tirer, c’est quand même un geste fort, souligne le colonel de gendarmerie. Il y a une telle différence entre l’acte d’ouvrir le feu et un tir de Flashball que c’est vraiment quelque chose en plus. Je pense qu’auparavant, le gendarme cherchait à faire face autrement. Il y avait plus de blessures en service chez nos personnels. »
Article de Louise Fessard
Source : MEDIAPART