Le cinéma est politique – Bee Movie : désamorcer l’anti-spécisme à coup d’arguments bidons

Source : Le cinéma est politique

Ce film d’animation, sorti en 2007, a ceci d’original qu’il aborde de façon frontale la question du spécisme, qui à mon avis mérite largement d’être discuté, vu son omniprésence dans notre société.

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Le spécisme, dixit Wikipédia, c’est « la discrimination arbitraire fondée sur le critère d’espèce. Le spécisme conduit à accorder moins d’importance aux intérêts des animaux non humains par rapport à ceux des humains. […] Ce mot a été forgé au début des années 1970 par analogie au racisme (discrimination arbitraire fondée sur la notion race) et au sexisme (discrimination arbitraire fondée sur le sexe). Il a été popularisé à la fois par des universitaires réfléchissant au statut moral des animaux et par des militants animalistes. Les opposant-e-s au spécisme, les antispécistes, soutiennent que l’espèce n’a en tant que telle aucune pertinence morale. Les partisan-e-s du spécisme soutiennent le contraire, sur différentes bases. »

Également, Peter Singer précise, dans son livre La Libération animale :

Je soutiens qu’il ne peut y avoir aucune raison — hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur — de refuser d’étendre le principe fondamental d’égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces.

Je reviendrai sur ces deux idées un peu plus tard, en relation avec le film.

Voici le synopsis du film, de Wikipédia:

Fraîchement diplômée, une abeille connue sous le nom de Barry B. Benson perd ses illusions à la perspective de n’avoir qu’un seul plan de carrière : fabriquer du miel…

Alors qu’il s’aventure hors de la ruche pour la première fois, il brise l’une des règles fondamentales du monde des abeilles : il adresse la parole à un humain : une fleuriste de New York, Vanessa.
Il est choqué de constater que les humains volent et mangent le miel que produisent les abeilles, et ce depuis des siècles !
Il se donne alors pour mission d’assigner la race humaine en justice pour vol de miel et de faire respecter les droits des abeilles.

Ce film me semble comporter de nombreuses idées assez discutables, notamment sexistes, classistes et militaristes. Je vais essayer dans cette brève de me concentrer quasi-uniquement sur les aspects spécistes (et parfois anti-spécistes, comme nous le verrons) du film.

Il me semble qu’il est possible de diviser ce film en quatre parties:

  1. La prise de conscience de l’exploitation par les abeilles

  2. Le procès de l’humanité, exploiteuse des abeilles

  3. Les abeilles se rendent compte que c’était une erreur de forcer les êtres humains à arrêter de consommer du miel (le ressort utilisé pour justifier ce retournement est plus que discutable, comme nous le verrons)

  4. Les abeilles réparent leur « erreur » et se remettent, avec quelques aménagements, à produire du miel pour les êtres humains.

*

Un début de critique intéressante…

Le film nous montre donc dans un premier temps et de manière assez intéressante la prise de conscience par Barry B. Benson de l’exploitation des abeilles par les êtres humains. Ainsi, nous apprenons avec ce film que les êtres humains manipulent les abeilles en leur volant leur reine, ce qui les force à s’installer dans des ruches pré-fabriquées par les êtres humains (pour faciliter leur accès aux abeilles et donc au miel). Également, afin de pouvoir voler en toute impunité les abeilles, illes les torturent avec de la fumée.

L’idée centrale, dans cette première partie du film, est relayée par la bouche de Vanessa, lorsque son copain, lors d’une crise de jalousie, essaye de tuer notre héros, Barry: « Pourquoi sa vie aurait moins de valeur que la tienne? »

C’est l’idée qui est au cœur de l’anti-spécisme, à savoir refuser l’idée que la vie (et donc les intérêts et les souffrances) d’un être d’une espèce autre que la nôtre aurait intrinsèquement moins de valeur.

Le film semble donc dans un premier temps prendre cette idée au sérieux et met en scène le procès de l’humanité, attaquée en justice par les abeilles, avec comme chef d’accusation l’exploitation d’une espèce entière dans le but de s’approprier les fruits de son travail (son miel). Le film nous apprend que les humains n’ont absolument pas besoin de miel pour survivre (ce qui est bien sûr vrai), alors que pour les abeilles le miel est le moyen de subsistance.

Ce que le film ne nous apprend pas, et qu’il est assez intéressant de noter, c’est le détail des effets qu’a cette exploitation sur les abeilles. En effet, pour pouvoir (continuer à) voler le miel aux abeilles, les humains le remplacent par un produit sucrant de mauvaise qualité, juste en suffisamment de quantité pour que les abeilles puissent survivre et continuer à produire du miel. Le résultat de tout ça, c’est que les abeilles travaillent environ deux fois plus dur (pour compenser le miel volé), et ont une espérance de vie réduite.

Si ce sujet vous intéresse, et que vous êtes anglophone, je vous recommande cette page http://www.vegetus.org/honey/honey.htm, qui me semble assez complète au niveau de l’exploitation humaine des abeilles, des ressorts utilisés, des arguments qui prétendent justifier l’exploitation, ainsi que les conséquences concrètes de cette exploitation sur les abeilles.

Dans Bee Movie, les « fermes » de ruches sont montrées comme de véritables camps de torture, et la fumée utilisée pour « calmer » les abeilles est montrée comme une arme de tortionnaire. La souffrance des abeilles est mise au même plan que la souffrance des êtres humains, et la ruse de l’avocat diabolique d’en face est montrée comme rien de plus qu’une mystification risible et manipulatrice.

Ceci dit, ses mots de défaite vont s’avérer prophétique dans ce film: « Ceci est une perversion profane de l’équilibre de la nature…vous le regretterez! »

…et puis, afin de désamorcer cette critique,

un ressort scénaristique des plus bidons

En effet, une fois le procès gagné et le miel rendu aux abeilles, celleux-ci n’ont plus aucun intérêt à travailler, et sombrent dans la décadence la plus absolue. Passons l’incohérence monumentale du scénario sur ce point (l’idée que les abeilles s’arrêteraient de produire du miel à partir du moment où les êtres humains cesseraient de le leur voler est évidemment tout à fait absurde, vu que les abeilles consomment le miel qu’elles produisent), et concentrons-nous sur les conséquences de ce point dans le film (qui sont elles aussi totalement incohérentes).

Les abeilles, ayant arrêté de travailler, ont également arrêté de polliniser, et donc le monde court à la catastrophe! Toutes les fleurs meurent! C’est l’apocalypse florale, tout ça à cause de l’égoïsme de ces maudites abeilles !

Ce ressort scénaristique est aussi absurde que faux. Les abeilles ne sont pas les seuls insectes qui pollinisent; les bourbons, les guêpes, les mouches, les papillons etc. font tous ça aussi. D’ailleurs, jusqu’au 17ème siècle, il n’y avait pas d’abeilles (dit « honey-bee » en anglais) aux Etats-Unis. Elles ont été importées par les Européen-e-s.

Si on en croit ce film, avant le 17ème siècle, il n’y avait donc pas de fleurs aux Etats-Unis…

Bon, je suis bien évidemment sensible à l’argument qui dit qu’il ne faut pas prendre tout ça à la lettre, et que l’idée générale c’est que les abeilles auraient autant besoin de nous (qui leur volons leur miel) que nous avons besoin d’elles (qui nous pollinisent « nos » champs et « nos » fleurs).

Malheureusement, même pris à ce niveau d’abstraction, je ne vois pas en quoi l’argument est pertinent. Cela me semble vouloir déguiser une relation qui est clairement d’exploitation en relation de complémentarité. Où est la complémentarité? Même s’il était vrai que les abeilles arrêteraient de polliniser si nous arrêtions de leur voler leur miel (ce qui est, encore une fois, totalement absurde), en quoi cela justifierait-il notre exploitation des abeilles?

Juste une parenthèse ici pour dire que c’est un point du film qui me semble potentiellement assez complexe. Car comme tout film où nous avons affaire à des animaux anthropomorphisés, il est possible de lire l’histoire soit littéralement (nous avons affaire à des animaux), soit allégoriquement (nous avons affaire à des êtres humains).  Ce film me semble amener plutôt une lecture littérale, car il parle explicitement de la relation des êtres humains aux abeilles, qui prend en compte des paramètres réalistes, alors que par exemple un film comme Le Roi Lion me semble bien plus allégorique, vu qu’aucune réalité animale n’est abordée, et qu’en plus aucun-e être humain n’est présent.

Après, je trouve tout de même que les deux lectures sont possibles, étant donné que toutes les abeilles sont aussi anthropomorphisées, et d’ailleurs je trouve que tout le côté archi-sexiste du début (avec esthétique rétro-années 50 à l’appui, les parents de Barry hyper-stéréotypés, Barry qui cherche à impressionner les filles aux débuts…), ainsi que le côté militariste du début et de la fin du film peuvent largement amener une lecture plus allégorique. Je dirais la même chose pour le côté « l’abondance amène à la décadence » (une fois le miel rendu aux abeilles), qui peut être à mon avis aussi bien lu d’une façon spéciste (sans nous les humains pour voler leur miel, les abeilles courent à leur perte) que d’une façon classiste (les humains sont les patrons, les abeilles les travailleurs, et les travailleurs faut les faire travailler pour leur bien sinon c’est la décadence).

Je pense d’ailleurs que la lecture allégorique du classisme se tient largement, tellement les dialogues et les images, une fois que la domination des humain-e-s a pris fin, me semblent aller dans ce sens.

Je ferme la parenthèse.

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L’équilibre naturel”, “l’inter-dépendance”: des escroqueries naturalistes qui alimentent le spécisme.

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Le film invoque donc l’idée « d’équilibre naturel » pour justifier cette exploitation. Cette façon d’invoquer « la nature » pour justifier une oppression n’est pas nouvelle (comme on l’a vu avec bon nombre d’autres articles sur ce site, c’est une ruse récurrente des systèmes patriarcaux, racistes, aphrodistes etc.), mais elle peut paraître plus « justifiée » en ce qui concerne nos relations aux animaux.

Nous vivons dans une culture qui, depuis notre plus jeune âge, nous apprend que les animaux sont inférieurs à nous (moins « évolués », ou moins « intelligents », ou « ne possèdent pas le langage »… ne sont que quelques-unes des raisons invoquées1), et qu’il va donc de soi que nous avons le « droit » de nous en servir comme bon nous semble (c’est-à-dire de les exploiter, les utiliser pour notre plaisir, les tuer, en faire des animaux de compagnie, les torturer massivement au nom de “la science”, etc.). En effet, nous apprend-on, une souffrance animale n’est pas réellement une souffrance, et ne doit donc pas être prise en compte dans nos rapports avec les animaux, ou en tout cas certainement pas au même niveau que la souffrance d’un être humain.

Dans le film, l’argument de l’infériorité me semble invoqué dès le jeu de mot présent dans le titre du film, qui joue en anglais sur le fait que les B-movies étaient très souvent considérés comme inférieurs car ne bénéficiaient pas du même financement que les autres films (une belle logique capitaliste comme on les aime). C’était des sortes de sous-classe de films. Cette blague (mettre un “b” devant certaines choses pour les dévaloriser) est utilisée à plusieurs moments tout au long du film.

Le film nous invite à rigoler d’une société d’abeilles un peu ridicule, où tout est en accéléré, tout est régimenté, et surtout où tout le monde à l’air content et heureux de vivre la vie toute tracée que leur impose Honex, une sorte de méga-entreprise un peu flou, qui semble à mi-chemin entre une entreprise capitaliste, et une sorte d’état-coércitif-stalinien.

Également, l’esthétique années 50 me semble aller dans ce sens, en participant à cette image d’une société un peu arriérée, inférieure, où les individu-e-s sont défini-e-s par leur travail, érigé en véritable instinct chez les abeilles3.

Or notre héros (auquel le film nous invite à nous identifier) tente précisément de s’émanciper de ça. Contrairement aux autres abeilles qui sont contentes de vivre cette existence monotone et déterminée à l’avance, il veut choisir lui-même son destin, et donc être libre comme les humains. Il rencontrera d’ailleurs une humaine avec qui il deviendra ami (s’opposant ainsi à une des règles fondamentale qui régit le monde des abeilles), preuve qu’il est un peu plus qu’un simple abeille, une abeille supérieure aux autres car partageant quelque chose avec les humains.

Par ce portrait des abeilles comme inférieures aux humains, le film est donc dans la droite lignée des arguments spécistes, qui justifient l’exploitation des animaux par les êtres humain-e-s (les animaux sont inférieurs à nous, donc ce sont nos outils).

Mais ce n’est pas le seul argument qu’il utilise. Comme je l’ai dit, Bee Movie explique aussi que les humains et les abeilles serait dans une “relation d’indépendance” ou “symbiotique”. Cet argument spéciste voudrait qu’en fait nous « protégeons » les animaux, en leur enlevant leurs prédateurs (plus de renard pour la poule, plus de loups pour les cochons etc.), et que nous nous occupons d’elleux, et qu’illes nous le rendent bien avec leur travail ou leur vie. Ce n’est donc pas une relation d’exploitation, mais une relation égalitaire basée sur la réciprocité.

C’est notamment un argument qu’on peut lire dans un livre tel que « Vivre avec les animaux » de Jocelyne Porcher, qui se positionne entre autre contre l’élevage à grande échelle et les conditions dans les abattoirs, mais se positionne également contre une remise en cause en soi de la relation « d’inter-dépendance » (que les anti-spécistes appelleraient exploitation) entre les humain-e-s et les animaux.

Je trouve plusieurs gros soucis à cette notion “d’inter-dépendance”, mis en scène notamment dans ce film.

Le premier, c’est qu’il occulte le but dans lequel on “protège” ces animaux : consommer le produit de leur travail ou leur chair (ce qui implique leur mise à mort). A celleux qui dirait « oui mais illes vivent plus heureux et dans de meilleures conditions », je répondrais que le même argument a été utilisé par certains esclavagistes (contre d’autres), à savoir que « leur » esclaves souffraient moins que d’autres et vivaient dans des meilleures conditions, ce qui servait à justifier leurs pratiques.

L’idée ici n’est pas de dire que cet argument est donc nécessairement faux en soi, mais que cet argument ne remet pas en cause le rapport esclavagiste que nous avons aux animaux, et est donc, pour moi, très problématique, car il revient à créer des nuances dans l’exploitation, une exploitation étant “moins pire” qu’une autre, “plus humaine” etc. Pour moi, une “exploitation plus humaine”, il y a un moment où ça n’a pas de sens.

Le deuxième souci avec cet argument, c’est qu’il refuse de considérer les intérêts des animaux indépendamment des besoins (ou plutôt des désirs) des êtres humains. La principale raison évoquée pour défendre ceci me semble être un argument traditionaliste à base de « mais les êtres humains ont toujours eu des relations de travail avec les animaux ». Autrement dit, une oppression (c’est moi qui appelle ça une oppression, on est d’accord) d’aujourd’hui se justifierait par une même oppression hier. C’est une façon de penser que je trouve hautement problématique, et qui encore une fois me semble surtout vouloir justifier et défendre des privilèges et/ou des désirs culinaires (et non pas des besoins donc, car il est tout à fait possible de vivre sans manger les animaux ou les exploiter pour leur travail4).

J’ai même entendu des gens qui parlaient de « tuer les animaux dans le respect », l’idée étant que si l’on « a bien traité » un animal, qu’on l’a « protégé », soigné etc., alors nous avons droit de décision sur la vie ou la mort de cet animal.

J’oppose cette notion à l’idée de tuer un animal parce qu’il souffre trop (l’euthanasie), car ça n’a rien à voir. Les gens qui parlent de « tuer dans le respect » parlent bien sur de tuer pour consommer, donc illes mettent explicitement leurs intérêts avant les intérêts de l’être sensible qu’illes ont en face d’elleux. Cet argument se résume à dire « bin moi j’ai mis du travail dans l’entretien de cet animal, donc j’ai le droit de le consommer ».

Pour moi, ce genre d’argument n’est pas grand chose de plus qu’une justification d’un comportement basé sur l’exploitation et le privilège. S’il suffisait d’avoir mis du travail dans l’entretien d’un être sensible pour justifier son droit de consommer sa chair, l’on pourrait très bien justifier par là le droit de manger ses propres enfants. Or, bien entendu, l’idée même est reçu avec dégoût et rejet, car en tant que société nous reconnaissons que la vie d’un-e enfant a de la valeur. Mais apparemment la vie d’un-e enfant de vache, ou de cochon, ou de poule…n’en a pas, quand bien même ce sont des êtres tout aussi sensibles qu’un enfant humain.

Je me permet ici une rapide digression par rapport au film, mais il me semble clair que les arguments naturalistes ne s’arrêtent pas là, bien entendu. Un des autres mécanismes du naturalisme (appliqué au spécisme), c’est de justifier nos pratiques d’exploitation des animaux par les pratiques de certaines tribus et peuples. Notre exploitation des animaux serait alors justifiée en filigrane par le fait que sous certaines conditions, l’utilisation des animaux seraient nécessaires à la survie des êtres humains.

Mon but ici n’est pas de condamner ou de faire le colon blanc qui vient expliquer aux “autres” comment vivre leur vie. La seule chose qui m’intéresse dans cet argument, c’est pourquoi elle est évoquée lorsque l’on cherche à questionner le rapport que nous avons aux animaux dans notre société. Il me semble, tout simplement, qu’elle est invoquée pour créer un écran de fumée, un déplacement du problème.

Car en effet, lorsque l’on cherche à questionner le rapport que nous avons aux animaux, c’est bien entendu notre rapport, et non pas le rapport des “autres”, qu’on cherche à questionner. Donc dans notre contexte, invoquer un argument naturaliste (“c’est le rapport naturel des humains aux animaux”), c’est pour moi une technique pour éviter la question, à savoir son rapport “ici et maintenant” aux animaux et leur souffrances.

Qui plus est, cet argument comporte très souvent un biais ethno-centriste et raciste, qui consiste à réduire certains peuples et tribus à des sociétés sans évolutions, sans histoires, sans complexités, en un mot “primitives”. En effet, les tribus et peuples “indigènes” sont très souvent invoqués car ils sont censés être garants d’un rapport “naturel” aux animaux, qui n’aurait pas changés depuis la nuit des temps, car se sont des tribus “primitives” qui vivraient “plus prêt de la nature”.

Pour une critique un peu plus détaillé de ce mécanisme et pourquoi il est problématique, voir l’article sur Pocahontas.

J’arrête là ma digression :-)

Il me semble assez clair que cette notion “d’inter-dépendance” invoquée par ce film, et les a priori naturalistes desquels elle découle, ne sont en fait qu’une grosse mystification qui vise à légitimer une exploitation.

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Dernier rempart du spécisme: refuser aux animaux toute individualité.


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Mais revenons à nos moutons abeilles, qui, rendues léthargiques et décadentes par toute cette abondance, se rendent compte donc que les humains leur volaient le miel pour leur bien (ahh, quels philanthropes ces humains!), et s’empressent de rectifier le tir et d’essayer de réparer le mal qu’elles ont commis!

Pour ce faire, elles vont devoir, non seulement faire preuve d’une discipline militaire (l’armée, c’est chouette!), mais en plus et surtout, retrouver leur condition d’abeille (c’est à dire d’être mue uniquement par une chose, leur instinct), qu’illes ont voulu orgueilleusement quitter (ce qui a déséquilibré l’ordre de la nature). Elles doivent donc “penser abeille” et retrouver leur condition d’espèce, monolithique et homogène.

Dans ses dernières scènes, le film renvoie donc les abeilles à leur espèce. Une des mécaniques du spécisme, c’est de considérer uniquement les membres des espèces non-humaines par rapport à leur espèce. Dans la pensée spéciste, nous n’avons jamais affaire à des individu-e-s avec des intérêts, des sensations, des comportements propres, mais nous avons affaire à un membre indifférencié d’une espèce, qui est mue uniquement par l’instinct (de manger, de boire, de créer un abri, de se reproduire…) de son espèce. Il ne peut donc y avoir aucun problème éthique dans l’exploitation des abeilles, ou des poules, ou des rat-e-s, ou de n’importe quel animal, parce que de toute façon, la seule chose qui compte, c’est l’espèce et uniquement l’espèce.

Dans la pensée spéciste, donc, n’est problématique notre rapport aux animaux uniquement lorsqu’il menace l’existence d’une espèce. L’on peut exploiter, tuer, torturer, dominer les individu-e-s de cette espèce, ça ce n’est pas problématique. Mais à partir du moment où on menace l’existence de l’espèce dans son ensemble (et perçu comme une sorte d’entité en soi), là notre comportement devient tout d’un coup problématique (et encore, que pour certain-e-s). Les animaux ne sont donc jamais considérés comme des individu-e-s indépendamment de l’existence ou de la survie de leur espèce. Un bel exemple de ce genre de raisonnement serait “Ender’s Game” (La Stratégie d’Ender), où l’on nous montre à la fin le personnage principal avec le dernier représentant d’une espèce extra-terrestre, espèce qu’il a aidé (certes sans le savoir) à éradiquer de la galaxie. Nous somme censés croire que le personnage se rachète de son génocide parce qu’il a décidé d’essayer de trouver une nouvelle planète pour cet individu extra-terrestre, pour que celui-ci puisse se reproduire et comme ça l’espèce ne sera pas perdu.

Avec cette fin, le film parachève de désamorcer les idées anti-spécistes contenues dans la première partie du film.

En effet, le dénouement de ce film nous apprend que « la nature » a « un équilibre », « équilibre » auquel il est important de ne pas toucher sous peine de catastrophe. Cet « équilibre » (qu’on pourrait appeler, si on avait envie d’être vulgaire, hiérarchie) est bien fait, car toutes les espèces sont à leur place et (mais c’est une coïncidence, rassurez-vous) les êtres humains sont plutôt bien placés dans le lot (mais bon ils travaillent très dur jour et nuit pour les autres animaux alors ils méritent leur place, hein).

Pour ma part, non seulement je questionnerais donc l’idée « d’équilibre », comme j’ai tenté de le faire dans cet article, mais aussi l’idée de « nature ». Ces deux notions me semblent être des constructions naturalistes5 qui visent surtout à légitimer une domination ou hiérarchie en affirmant que celles-ci sont « bons » car « naturels » ou « en accord avec l’équilibre naturel ».

Si jamais ce sujet vous intéresse, je vous recommande ces deux brochures: http://tahin-party.org/finir-idee-nature.html , qui vise à déconstruire les constructions naturalistes que le spécisme construit pour justifier l’exploitation des animaux, et http://infokiosques.net/lire.php?id_article=260 , qui réfléchit à l’appropriation des animaux par les êtres humains en s’appuyant sur les analyses de Colette Guillaumin sur l’appropriation des Noirs par les Blancs et des femmes par les hommes.

Pour finir, j’ai trouvé la toute dernière scène du film assez énervante, et plutôt révélatrice.

Une vache est venu se plaindre, sur le même mode que Barry au début à propos du miel, qu’elle aussi se fait exploiter. Non seulement je trouve que la scène est plutôt sur le ton du comique ridicule et qu’on est plutôt invité à rire lorsque la vache s’écrie « des fois j’ai juste l’impression d’être un bout de viande », mais en plus Barry se casse immédiatement lorsque Vanessa l’appelle, car elle a besoin de tulipes pour un mariage. Barry, bien sûr, s’exécute immédiatement (en mode militaire, parce que l’armée c’est cool), car, ne l’oublions pas, les intérêts des êtres humains sont au final bien plus importants que ceux des non-humains, surtout lorsque ces derniers sont exploité-e-s…

En conclusion, je trouve que ce film, qui a quand même le mérite d’aborder la question de l’exploitation des êtres non-humains par les êtres humains, tout en en donnant un exemple relativement probant et en ce se plaçant (pour toute la première partie du film) du point de vue des êtres exploités, opère un retournement de veste assez remarquable, qui plus est en usant d’un ressort scénaristique complètement bidon et absurde.

Il est vrai qu’à la fin, le miel doit être « approuvé(e) par l’abeille », ce qui me semble plaider pour un aménagement « plus humain » des conditions de productions animales. Cette idée, sur laquelle le film ne s’attarde pas très longtemps, est à double tranchant.

Certes, d’un côté, les animaux vivent (et sont tués ou exploités) dans des conditions moins épouvantables qu’auparavant. Si le but ultime est de réduire les souffrances animales, alors c’est un (petit) pas dans la bonne direction.

Mais cette idée ne remet pas en cause notre rapport au animaux, ne remet pas en cause cette idéologie naturaliste de « l’équilibre naturel », qui veut que « chaque espèce à sa place et les humain-e-s en haut », et qu’il me semble très intéressant de remettre en cause.

Comme je l’ai dit plus haut, il me semble plus que probable qu’en remettant en cause ces idées naturalistes, on se rendra compte qu’elles sont utilisées dans la justification de beaucoup d’autres rapports d’oppressions, où elles posent les mêmes problèmes éthiques et méthodologiques…

 

Liam

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1Un documentaire intéressant qui passe en revue la plupart de ces arguments est The Superior Human?, disponible en ligne ici http://www.youtube.com/watch?v=mqT82oGeax0

2Je pense d’ailleurs que ce flou est entretenu, comme je l’ai expliqué plus haut, pour jouer un peu sur deux tableaux. D’un côté, cela alimente l’image d’une société un peu arriéré, stalinienne, structuré par “l’instinct” et le travail, mais d’un autre côté, en nous présentant Honex comme une entreprise capitaliste qui fait échos aux méga-corporations que nous connaissons tou-te-s, cela fait aussi échos à notre société, et donc nous fait nous identifier un peu plus à Benson. Je pense que ce flou tient aussi au fait que les abeilles sont antroporphisées, et donc forcément le film joue à au moins deux niveaux. Dans ce qui est la thématique du spécisme, le film marque clairement une opposition nette et radicale entre les humain-e-s et les abeilles. Mais sur d’autres thématiques (notamment le sexisme), cette opposition n’est pas aussi marqué. Par exemple dans la quête de Benson pour être accepté dans le clan des “pollen-jocks” (littéralement, “sportifs du pollen”, qui sont une escouade militaire d’armoires à glace qui sont les garants de la virilité chez les abeilles, et dont l’uniforme, qu’ils enfilent symboliquement à Benson pour l’accepter au sein du groupe, semble être un blouson en cuir (sic) ), nous avons une bonne vieille quête initiatrice sexiste, omniprésent dans le cinéma, d’animation ou pas, comportant des animaux ou pas, et on nous parle bien sûr d’êtres humain-e-s, à ce moment-là.

3Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si en anglais il existe l’expression “worker bee” pour décrire quelqu’un-e qui travaille de manière pathologique.

4“A 2009 review of recent studies indicated that vegan diets tend to be higher in dietary fibre, magnesium, folic acid, vitamin C, vitamin E, iron and phytochemicals, and lower in calories, saturated fat, cholesterol, long-chain omega-3 fatty acids, vitamin D, calcium, zinc and vitamin B12.[5] Well-planned vegan diets appear to offer protection against certain degenerative conditions, including heart disease,[6] and are regarded by the American Dietetic Association, the Australian National Health and Medical Research Council, and Dietitians of Canada as appropriate for all stages of the life-cycle” (cité de la page Veganism de Wikipédia)

5http://tahin-party.org/naturalisme.html